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“Un parc urbain pour dompter les caprices de la rivière et de l'économie !”

« Cette rivière, hier hostile et crainte, est devenue un élément structurant du projet », souligne Jean-Paul Omeyer, premier adjoint au maire de Cernay.

Jean-Paul Omeyer, premier adjoint au maire de Cernay (68), retrace la mise en oeuvre du projet de ZAC de la commune dont le coeur est un parc organisé autour de noues permettant de dompter les crues de la rivière locale, la Thur. Un projet qui prouve que l'on peut concilier urbanisme et biodiversité, et que le bâti peut laisser toute sa place au végétal.

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Cernay, ville de 11 000 habitants du sud de l'Alsace, jouit d'un environnement particulier : elle est située près de Mulhouse, la plus grande ville du Haut-Rhin, à laquelle elle est reliée par tram-train, tout en se trouvant au pied des montagnes vosgiennes. Les pieds dans la plaine d'Alsace, la tête dans la montagne. Quitter la ville par l'ouest revient à s'engager en direction des Hautes-Vosges. C'est ici que la rivière locale, la Thur, prend sa source. Un cours d'eau qui peut s'avérer redoutable : « Ses crues faisaient peur », explique Jean-Paul Omeyer, premier adjoint de la ville. « Mais elle a permis de faire tourner des moulins et de nombreuses usines travaillant le bois, le papier ou le textile. »

La ville a connu, économiquement, des hauts et des bas, mais reste un bassin d'emploi important, la communauté de communes offrant actuellement 5 300 emplois pour 16 000 habitants.

Avant les années 80, la ville était fortement impactée par la circulation sur la Nationale 83 qui la traverse en enjambant la Thur. La circulation piétonne était particulièrement risquée, la pollution routière importante. Mais surtout, de 1985 à 1992, les usines textiles ont fermé les unes après les autres. Il a donc fallu trouver un moyen pour réconcilier les habitants avec leur ville et leur rivière, et redynamiser l'économie locale. Ce sera fait grâce à l'aménagement d'une zone d'aménagement concertée (ZAC), au coeur de laquelle a été créé un jardin novateur, le parc des Rives de la Thur.

La ville disposait, en 1990, d'un atout appréciable : d'importantes réserves foncières entièrement maîtrisées par la commune. Dès 1995, l'équipe municipale décide donc de mettre en oeuvre son projet urbain destiné à accélérer sa stratégie de développement. Le projet de ZAC, alors en attente, est entièrement repris. Cette zone est le « fruit d'une politique de développement urbain volontariste, audacieuse et innovante, plaçant la qualité de vie et le développement durable au centre de l'action publique », précise Jean-Paul Omeyer. « L'idée directrice de ce projet de ZAC était de créer un parc urbain pour dompter les caprices de la rivière et de l'économie ! »

Avant la réalisation du projet, la municipalité a mis en oeuvre un mode de gouvernance principalement axé sur la démocratie participative, avec expositions permanentes, réunions publiques, débat démocratique et, au final, l'élaboration d'un projet « créant les conditions du consensus », estime l'équipe municipale. Le site sur lequel ont été construits les immeubles constituait jusqu'alors un secteur délaissé car soumis au risque d'inondation. Il marquait également une véritable rupture entre les quartiers nord et sud de la ville que la ZAC devait rapprocher. Annihiler le risque de crue était un préalable à toute construction. C'est donc un parc, le parc des Rives de la Thur qui, sur 12 hectares, a permis de maîtriser la rivière tout en offrant aux riverains des zones de détente et de repos, mais aussi de socialisation. Les travaux ont été menés en deux tranches, de 2004 à 2008, et le parc a été inauguré le 21 juin 2008. Ce dernier a reçu une victoire du Paysage l'an dernier et a été visité dans le cadre des Assises européennes du paysage de Strasbourg, en octobre dernier.

Les berges de la rivière ont été mises en sécurité, en rehaussant les digues et en érigeant des gabions qui ont permis de créer des gradins, et deux ouvrages de franchissement ont été construits. Par ailleurs, des bassins de collecte des eaux de pluie et des noues paysagées ont été réalisés. « Ainsi, cette rivière, hier hostile et crainte, est devenue, aujourd'hui, un élément structurant du projet et un véritable lien entre les territoires de la ville », estime Jean-Paul Omeyer. Les noues paysagées ont permis l'installation d'un écosystème typique des milieux humides, ainsi que le développement de la biodiversité. Mais elles ont avant tout une fonction technique, – stocker assez d'eau en cas de forte pluie –, et ont, en ce sens, été soigneusement dimensionnées.

Par temps sec, soit 245 jours par an, elles sont vides. Par temps humide, soit 70 jours par an de pluies inférieures à 5 mm, un mince filet d'eau est collecté. Les jours de pluie (il pleut en moyenne à Cernay 50 jours par an au-delà de 5 mm), l'eau est stockée dans les noues et dans les bassins sans les faire déborder.

En cas d'orage violent, pluie décennale ou crue de la Thur, soit 1 jour par an, les bassins commencent à déborder, les noues également, et l'eau est alors stockée dans les espaces verts.

En cas de pluie centennale ou de crue importante de la rivière, soit statistiquement 5 jours tous les 100 ans, les bassins, les noues et les espaces verts devraient se remplir sans pouvoir évacuer l'eau, mais tout est prévu pour que la cote de l'eau reste sous celle de la route nationale.

Enfin, en cas de déluge, soit un risque évalué à 10 jours tous les 10 000 ans, tout doit être saturé, mais il est possible d'accélérer la vidange du parc en ouvrant des vannes permettant d'évacuer l'eau de l'autre côté de la route nationale, qui doit encore rester hors d'eau. Après le déluge, il faut dix-huit heures pour vider l'ensemble des bassins situés en amont, et l'eau doit s'évacuer du parc en deux ou plusieurs jours selon l'intensité de la crue de la rivière. Après cinq jours, la vidange est totale et les zones construites sont restées hors d'eau. À ce jour, le record de pluie enregistré depuis la création du parc est un orage important survenu en 2004 comme il en advient un en moyenne tous les vingt ans. Le parc, dont les noues étaient à peine construites, a parfaitement joué son rôle et tout s'est déroulé selon le schéma prévu...

Au nom de la sécurité, sur les cinq bassins construits pour collecter l'eau, trois ont dû être réalisés en béton, au grand dam de l'équipe municipale, qui aurait aimé des structures plus végétales, d'autant que leur accès est interdit au public et que le risque est donc faible pour l'usager du parc. Il a fallu se battre pour obtenir que deux réalisations soient plantées de végétaux, dans une partie qui tombe sous la loi Barnier de protection de l'environnement, où le risque d'accès à l'eau est encore plus faible pour le public que dans les zones fortement fréquentées.

L'aménagement est divisé en trois zones distinctes, séparées par des cloisons végétales. Le parc des berges, en amont, est destiné à la ballade et au repos, et l'on y trouve surtout de grands arbres. Dans la partie centrale, la clairière urbaine est une zone aux ambiances multiples, parc et place publique, vie publique, animations « marché », gradins, gué pour le rapport à l'eau. Un peu plus loin, une terrasse, des espaces de jeux et de détente, reliés à la place, offrent une ambiance différente, une transition vers un espace plus naturel. « C'est dans cette zone que sont organisées les fêtes, par exemple celle de la musique », précise Jean-Paul Omeyer. Enfin, en aval, le jardin des rives permet, sur une passerelle, de découvrir le biotope, dans une ambiance sauvage et humide.

Dans le souci de respecter une haute qualité environnementale, les concepteurs ont fait des choix d'essences végétales rustiques, économes en eau et nécessitant peu d'entretien. Le saule, par exemple, a été largement planté : on en trouve 33 espèces. Dans la mesure du possible, les végétaux ont été achetés dans des pépinières locales. Quelques parkings sont réalisés en Végécol, une colle végétale capable de remplacer le bitume...

Aujourd'hui, l'entretien est assuré par une association d'insertion. Les noues sont fauchées en fin d'année, tout comme certaines zones engazonnées. Dans la partie urbaine, les tontes sont plus régulières, mais les espèces gazonnantes retenues peu poussantes. Sur l'ensemble du parc, le coût annuel d'entretien est de 130 000 euros – il peut atteindre 150 000 à 160 000 euros avec des commandes spécifiques venant s'ajouter au contrat de base.

Plus de 30 000 végétaux ont été plantés pour une réalisation permettant de concilier fonctions technique et sociale. Le parc des Rives de la Thur est un exemple de ce qui se fait de mieux aujourd'hui en termes d'aménagement urbain. Un chantier qui prouve qu'il est possible de construire en laissant toute sa place au végétal. Représentatif de l'évolution actuelle, qui privilégie une gamme végétale rustique, adaptée à des contraintes fortes, il est un exemple à suivre.

Pascal Fayolle

Les berges ont été mises en sécurité en rehaussant les digues et en construisant des gabions.

Les noues sont dimensionnées pour stocker l'eau même en cas d'événement climatique majeur.

Un platelage de bois permet de découvrir le biotope.

La zone centrale du projet permet aux habitants de se retrouver. Elle est conçue comme un lieu de convivialité mais aussi comme un espace de communication entre les deux parties de la ville.

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